L’écrivain et naturaliste Benoît Vincent a investit durant six mois le Labo de création de Ciclic pour une exploration et une mise en fiction de six régions naturelles : la Beauce, le Berry, la Brenne, le Perche, le Chinonais et la Touraine.

L’écrivain et naturaliste Benoît Vincent a investit durant six mois le Labo de création de Ciclic pour une exploration et une mise en fiction de six régions naturelles : la Beauce, le Berry, la Brenne, le Perche, le Chinonais et la Touraine. Avec Situer, Benoît Vincent propose une cartographie littéraire, une tentative de traduction esthétique de ces territoires naturels emblématiques, une invitation à parcourir, penser et lire nos paysages d’un regard neuf.
Voilà le début du texte concernant le marais autour du Négron que Rabelais appelle La Vède dans son Gargantua. C’est d’ailleurs à proximité de ce cours d’eau qu’ont lieu les épisodes savoureux de la naissance de Gargantua et du pissât géant de sa jument.

De là partans arrivèrent au port du molin, & trouvèrent tout le
gué couvert de corps mors, en telle foulle qu’ilz avoient
enguorgé le cours du molin.
[François Rabelais]

Le marais est le plus grand de Touraine peut-être, assurément le plus grand du secteur, loin s’en faut. Il est un espace de profusion du cours d’eau appelé Négron.

Le marais est une prolifération du cours d’eau, il est cours d’eau en forme non de lame (comme on parle de la lame d’eau) mais de nappe. La nappe s’écoule non d’amont en aval mais latéralement, et d’ailleurs elle ne coule guère. Elle reste, et elle élabore patiemment cet ensemble féerique et diabolique à la fois (je le sais moi qui ai traversé les marais, habité les marais, arpenté les marais, essoré les marais).

C’est une structure particulière, qui m’a valu bien des tentatives de relations, tantôt poétiques, tantôt journalistiques, tantôt narratives, et la plupart du temps ce furent des échecs. Il est impossible de rendre le marais… ses couleurs, son tremblement, ses frimas.

Le froid du marais, le silence du marais, le vide du marais, le brun du marais, quand, plutôt qu’une sorte de filet il ressemble à une bonde. Une bonde pour l’âme. Un lieu de reddition bénévole.

Je crois que l’homme, effrayé par l’aliéneté du marais, effrayé par le marais, secrètement travaille à son éradication. Dans bien des régions il y est parvenu. On ne compte plus le nombre de marais fossilisés, ou au contraire envahis d’arbustes, mutilés par les griffes de certaines pratiques agricoles, du drainage, de la plantation, du pâturage de ces machines vivantes trop lourdes pour lui.

Qu’est-ce qu’un marais ? Une chose ? Un être ? Un éon ? Une entité abstraite ? Un complexe, un collectif ? Ou bien un simple mot, abandonné à lui-même au coin d’un livre, dans la marge d’un roman, une anecdote dans une chronique ?

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