Camille de Toledo est aujourd’hui une écriture qui compte dans le paysage littéraire français, et même au delà, européen. En 2020, il est sélectionné pour le prix Goncourt.

A l’automne 2017, prenant la suite d’Hélène Gaudy et de Mathieu Larnaudie, il est venu quelques jours en résidence au musée Rabelais. Allant et venant dans les pas du jeune Rabelais, aujourd’hui entre le musée et le village voisin de Seuilly.

DU paysage

Il a particulièrement été attiré et inspiré par le paysage et le lien entre toutes choses, entre La Devinière et l’abbaye, entre lui-même et le paysage.

C’est à la vue de ce sentier que j’ai réussi, soudain, à synchroniser avec les yeux de François Rabelais ou, pour être précis, avec ce que les yeux de François Rabelais voyaient quand il suivait le chemin qui le menait de La Devinière à l’Abbaye de Seuilly.

Les pas dans les pas, les yeux dans les yeux, la relation entre les deux écrivains, portés par leurs deux époques, à pu se tisser.

Et aussitôt, par cette synchronisation, je fus submergé par des émotions perspectivistes que je n’avais aucunement prévues, n’ayant eu, dans le premier temps, que le souhait de m’imprégner du paysage d’automne en ce jour couvert et gris.

Il est allé au delà du simple paysage -ce que l’on voit du pays- il s’est interrogé sur le paysage d’une enfance devenu paysage de roman.

comment les paysages de l’enfance s’impriment en nous pour ressurgir des années plus tard dans nos rêves, nos fables, les histoires que nous écrivons ? 

De la mémoire

Ce texte nous emmène entre récit de voyage et aventure mémorielle (la mémoire familiale est un pivot de l’oeuvre de Camille de Toledo).

Quelques mètres plus loin, la vue était dégagée et je m’éloignai du chemin pour noter une nouvelle étape de ma méditation, quand, plus que dans les yeux, je remarquai que je parvenais à me glisser dans les pas du jeune Rabelais. J’étais en effet saisi par une vision qui se liait à un autre souvenir, celui d’un film que mes propres enfants avaient apprécié dans les premières années de leur existence, avant de le rejeter au motif que c’était en noir et blanc,

Récit de voyage géographique qui devient récit de voyage historique, les yeux de l’un dans les yeux de l’autre, ce récit devient divagation et questionnements.

Je notais d’abord que le chemin que je croyais si court, depuis l’Abbaye de Seuilly, avait pris, d’une certaine façon, une tournure plus sinueuse. J’étais désormais dans la peau du jeune Rabelais, usant de ma propre mémoire pour essayer de saisir ce qui se liait entre lui et le paysage de son enfance, effort qui avait appelé, sans que je ne sache exactement pourquoi, le souvenir de La Guerre des boutons, laquelle guerre en appelait une autre, qui ne me sembla pas à cet instant sans lien avec ce qui me préoccupait depuis que j’avais été frappé par la vue de l’Abbaye de Seuilly : comment transfigurons-nous les paysages de l’enfance ? Et les variations de perspective qui nous saisissent avec l’âge, où ce qui nous semblait gigantesque enfant nous paraît finalement minuscule pourraient-elles être la cause de ce que nous écrivons, plus tard, quand nous nous trouvons éloigné de nos pays primordiaux ?

Des proportions

De l’enfant à l’adulte écrivain, les choses prennent une ampleur différente, et si une carte est un début d’interprétation d’un paysage, écrire est une continuité de déformation du paysage.

Si l’échelle de l’écriture, de la carte imaginaire qui s’établit en nous est liée aux déformations de l’âge quand nous devenons plus vieux et que nous en repassons par les souvenirs de l’enfance, se peut-il que cela cause que le simple sentier où nous avions l’habitude de marcher, en allant, par exemple, de La Devinière à l’Abbaye de Seuilly, se soit élargi ? Se peut-il qu’il ait gonflé aux proportions que nous lui donnions quand nous étions enfants ?

On s’accorde à dire que Rabelais n’est probablement jamais revenu à La Devinière à l’âge adulte. Qu’aurait-il lui-même pensé de son paysage d’enfance magnifié dans Gargantua ?

Et encore cette question : la démesure de Rabelais pourrait-elle n’être que la projection de ses lectures d’enfant sur ces vallons, ces bâtis, ces collines, à l’image des gamins de La Guerre des boutons qui jouent une partie que seuls eux voient parce qu’elle est vraie pour eux, dans un certain monde ?

Avec Camille de Toledo, les 500 mètres de balade sur le sentier sont devenus une aventure de mémoire, d’histoire, et de métaphysique. Et d’année en année, de strate en strate, le paysage se peuple de et grâce à la littérature. Et Camille de Toledo y ajoute sa strate.

les paysages, justement, ne sont rien sans les strates des textes qui les ont pétris et brassés au fil des siècles d’écriture et plus encore de lecture et comment tout ce monde serait morne et sans vie s’il n’y avait pas, derrière chaque forêt, colline, lac et rivière, des histoires, des contes, des fables et des folies perspectivistes pour nous les faire aimer et nous y attacher.

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Retrouvez le texte entier de Camille de Toledo, De Seuilly à La Devinière, un jour d’automne, sur le site de CICLIC

Ainsi que la lecture que l’auteur à fait de ce texte en le lieu, à La Devinière, un jour de printemps 2018.

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