Pour Milan Kundera, « Panurge est le premier grand personnage romanesque » et « le roman est né de l’esprit de l’humour », celui de Rabelais notamment.

Rabelais est partout. On le retrouve au détour d’une interview radio avec Umberto Eco ou Fabrice Luchini. Brassens le cite comme influence pour certaines de ses chansons. Victor Hugo, Céline ou Michel Butor ont écrit des textes dessus. Balzac, Maupassant ou Flaubert en font un de leurs écrivains favoris. Découvrez dans cet article comment Milan Kundera intègre Rabelais dans l’histoire du Roman.

[Rabelais] est le pionnier, le fondateur, le génie du non-sérieux.

Milan Kundera, François Rabelais et l’HISTOIRE DU roman.

[Rabelais] est le pionnier, le fondateur, le génie du non-sérieux.

L’origine du mot roman remonte au Moyen Âge. Il désigne un « long récit écrit en roman ou en ancien français […] contant les aventures fabuleuses, galantes ou grotesques de héros mythiques, idéalisés ou caricaturés. » (cnrtl) Nous pouvons penser ici au roman de Renart, aux textes de Chrétien de Troyes, à Tristan et Iseult

Certains évoquent les textes de Rabelais pour marquer le début du ‘roman moderne’, par là entendons des textes qui ouvrent sur une littérature nouvelle qui amènera à la forme romanesque. « Ces récits traduisent, représentent, expriment ce monde en « nouveaulté » (Rabelais) » (voir Christian Michel).

Rabelais : des romans a posteriori

Pour Milan Kundera, « Rabelais n’a certainement jamais appelé son Gargantua-Pantagruel roman. Ce n’était pas un roman ; ce l’est devenu au fur et à mesure que les romanciers ultérieurs (Sterne, Diderot, Balzac, Flaubert, Ventura, Gombrowicz, Rushdie, Kis, Chamoiseau) s’en sont inspirés, s’en sont ouvertement réclamés, l’intégrant ainsi dans l’histoire du roman, plus, le reconnaissant comme la première pierre de cette histoire. » (M. Kundera, Les Testaments trahis, Gallimard, 1993)

Pour Milan Kundera, « Panurge est le premier grand personnage romanesque » et « le roman est né de l’esprit de l’humour », celui de Rabelais notamment.

L’Art du roman (extrait)

Dans le Troisième livre de Gargantua et Pantagruel, Panurge, le premier grand personnage romanesque qu’ait connu l’Europe, est tourmenté par la question : doit-il se marier ou non ? Il consulte des médecins, des voyants, des professeurs, des poètes, des philosophes qui à leur tour citent Hippocrate, Aristote, Homère, Heraclite, Platon. Mais après ces énormes recherches érudites qui occupent tout le livre, Panurge ignore toujours s’il doit ou non se marier. Nous, lecteurs, nous ne le savons pas non plus mais, en revanche, nous avons exploré sous tous les angles possibles la situation aussi cocasse qu’élémentaire de celui qui ne sait pas s’il doit ou non se marier.

L’érudition de Rabelais, si grande soit-elle, a donc un autre sens que celle de Descartes. La sagesse du roman est différente de celle de la philosophie. Le roman est né non pas de l’esprit théorique mais de l’esprit de l’humour. Un des échecs de l’Europe est de n’avoir jamais compris l’art le plus européen – le roman ; ni son esprit, ni ses immenses connaissances et découvertes, ni l’autonomie de son histoire.

M. Kundera, L’art du roman (Gallimard, 1986)

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Pour aller plus loin

NAISSANCE DU ROMAN MODERNE : RABELAIS, CERVANTÈS, STERNE, (Christian Michel)

Discours savants et discours romanesque dans le Tiers Livre (Bruno Méniel)

Définition du roman (crntl)

Milan Kundera : Rabelais et les Misomuses (entretien avec Guy Scarpetta, La Règle du jeu, 1993)

François Rabelais, le père du roman (émission LA COMPAGNIE DES AUTEURS avec Lakis Proguidis sur France Culture

Et retrouvez les textes des écrivains contemporains venus en résidence au musée Rabelais.

image : Rabelais présentant Gargantua, Gustave Doré, frontispice de l’édition de 1854, Gallica / Bibliothèque Nationale de France.