Rabelais est partout. Il est redécouvert par la plupart des écrivains du XIXè siècle (Flaubert, Maupassant, Victor Hugo…). Balzac qui a a peu près écrit sur tout et sur tous (Dante, La Norvège ou Catherine de Médicis…) fait de Rabelais une de ses références.
Voisins en Touraine
Balzac aimait bien Rabelais, il le cite, y fait référence, va jusqu’à reprendre le pseudo de l’écrivain de la Renaissance (Alcofribas) pour signer un article de journal. En hommage ou en référence, Balzac écrit dans les années 1830 une série de contes en simili-ancien-français : Les Contes drolatiques (encore une référence à Rabelais, aux Songes drolatiques (Songes qui ne seraient en fait pas de Rabelais)). Ces textes de Balzac accentuent la grivoiserie, se veulent reflet de l’esprit « gaulois », mais cette écriture complexe empêche la lecture facile. Et ça se passe beaucoup Touraine.
Tours ha été et sera touiours les pieds dedans la Loire, comme une jolie fille qui se baigne et joue avecque l’eaue, faisant flic flac en fouettant les ondes avecque ses mains blanches; car ceste ville est rieuse, rigolleuse, amoureuse, fresche, fleurie, perfumée mieux que toutes les aultres villes du monde qui ne sont pas tant seullement dignes de lui paigner ses cheveulx, ni de luy nouer sa saincture…
H. de Balzac, Contes drolatiques : L’Apostrophe
Rabelais, une référence récurrente
Balzac ne s’arrête pas à cet hommage stylistique. Dans sa Comédie humaine il cite une soixantaine de fois le nom de Rabelais.
Il fait référence à la fameuse coquecigrüe…
En Touraine, le cagnard s’appelle un cauquemarre. Rabelais, je crois, parle de ce cauquemarre à cuire les cocquesigrues, ce qui démontre la haute antiquité de cet ustensile. (La Rabouilleuse)
… à l’esprit rabelaisien…
L’esprit conteur, rusé, goguenard, épigrammatique dont, à chaque page, est empreinte l’œuvre de Rabelais, exprime fidèlement l’esprit tourangeau (L’illustre Gaudissart)
… ou encore, à son célèbre géant.
mais que dirait le Gargantua de Rabelais, figure d’une sublime audace incomprise, que dirait ce géant, tombé des sphères célestes, s’il s’amusait à contempler le mouvement de cette seconde vie parisienne ? (La Fille aux yeux d’or)
L’argot (et les mots de Rabelais) expliqué(s) par Balzac
Dans un extrait de Splendeurs et misères des courtisanes, Balzac évoque la langue gauloise de Rabelais. Que veut-il dire par là ?
Rabelais connaissait certaines langues romanes, mais le gaulois ?
D’ailleurs, le mot roman (celui de notre utilisation courante) viendrait du fait que c’est un texte en langue romane, c’est-à-dire la langue parlée (le CRNTL dit : Langue romane (ou dialecte, idiome, parler, parole, patois roman(e)). Langue vulgaire issue du latin populaire). Les premiers romans étaient des histoires racontée, modulables, avant d’être fixées par écrit (cf Le Roman de Renart).
Avant de vous laisser à la lecture de l’extrait de Balzac, précisons quelques légères variantes de la signification du nom de ‘Panurge’ : Qui sait tout faire, le bon à tout, le rusé.
Donc, dans Splendeurs et misères des courtisanes :
Reconnaissons d’ailleurs la haute antiquité de l’argot ! il contient un dixième de mots de la langue romane, un autre dixième de la vieille langue gauloise de Rabelais. Effondrer (enfoncer), otolondrer (ennuyer), cambrioler (tout ce qui se fait dans une chambre), aubert (argent), gironde (belle, le nom d’un fleuve en langue d’Oc), fouillousse (poche) appartiennent à la langue du quatorzième et du quinzième siècle. L’affe, pour la vie, est de la plus haute antiquité. Troubler l’affe a fait les affres, d’où vient le mot affreux, dont la traduction est ce qui trouble la vie, etc.
Cent mots au moins de l’argot appartiennent à la langue de Panurge, qui, dans l’œuvre rabelaisienne, symbolise le peuple, car ce nom est composé de deux mots grecs qui veulent dire : Celui qui fait tout. La science change la face de la civilisation par le chemin de fer, l’argot l’a déjà nommé le roulant vif.
Le nom de la tête, quand elle est encore sur leurs épaules, la Sorbonne, indique la source antique de cette langue dont il est question dans les romanciers les plus anciens, comme Cervantès, comme les nouvelliers italiens et l’Arétin. De tout temps, en effet, la fille, héroïne de tant de vieux romans, fut la protectrice, la compagne, la consolation du grec, du voleur, du tire-laine, du filou, de l’escroc.
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